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Europe – Afrique : Emanuela Del Re : « Si l’Europe rompt le lien avec le Sahel, il sera difficile de le rétablir »
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30.11.2024

Politique

Europe – Afrique : Emanuela Del Re : « Si l’Europe rompt le lien avec le Sahel, il sera difficile de le rétablir »

L’ACTU VUE PAR – Représentante spéciale de l’Union européenne pour le Sahel, la diplomate italienne Emanuela Claudia Del Re cèdera son siège le 1ᵉʳ décembre. Elle revient, pour Jeune Afrique, sur un mandat marqué par la dégradation des relations diplomatiques avec le Sahel.

Dimanche 1er décembre, Emanuela Claudia Del Re, représentante spéciale de l’Union européenne (UE) pour le Sahel depuis 2021, passera le flambeau à João Cravinho, ancien ministre portugais des Affaires étrangères. La diplomate italienne, ancienne membre du Mouvement 5 étoiles (M5S) fondé par Beppe Grillo, aura vécu un mandat marqué par la multiplication des coups d’État au Sahel et l’érosion des relations avec l’UE.

Partisane d’un « dialogue constructif » avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES : Mali, Burkina Faso, Niger), l’ancienne vice-ministre des Affaires étrangères veut croire à un maintien de la coopération, notamment en matière d’action humanitaire et de développement. Pour autant, elle prône un « parler franc » sur les sujets délicats, tels que les violations des droits humains imputées aux juntes sahéliennes et les attaques « inacceptables » dont certains membres de l’UE font l’objet, la France en tête.

Jeune Afrique : Multiplication des coups d’État, transitions à durée indéterminée, déploiement de mercenaires… Au cours de votre mandat, les sujets de tensions ont été nombreux entre l’UE et le Sahel. Quel bilan en tirez-vous ?

Emanuela Del Re : Malgré une situation régionale très complexe, je pense que le bilan est positif, si l’on considère que les 27 membres de l’Union européenne restent engagés dans la région. On ne peut pas nier qu’il y a eu des moments de préoccupation, le sentiment parfois que tout pouvait s’effondrer. Après les coups d’État survenus au Sahel et les problèmes de communication qui se sont installés entre le Sahel et l’UE, il a parfois semblé difficile de maintenir cet engagement. Reste désormais à en déterminer le contenu.A lire : 

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Nous avons tout de même maintenu le dialogue. Après le coup d’État au Niger, nous avons laissé la gestion de la crise à la Cedeao [Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest], dont c’était, de facto, la responsabilité, mais nous avons poursuivi les échanges et j’ai multiplié les visites dans la région. Je ne crois pas à la diplomatie « au télescope » et aux messages passés à distance. J’ai tenu, concernant certains sujets comme les violations graves de droits humains, à passer des messages directement.

La question des droits humains, précisément, est souvent brandie par les régimes sahéliens comme un sujet « instrumentalisé » par l’Occident pour nuire à leur souveraineté. Quelle est votre approche en la matière ?

J’ai toujours eu l’opportunité de parler franchement avec les représentants des pays du Sahel que j’ai rencontrés. C’est, selon moi, la seule manière d’obtenir des résultats. Il est essentiel de comprendre la mentalité de nos interlocuteurs sur certaines questions, comme celle de la souveraineté. J’ai pu échanger avec des ministres de l’AES, plusieurs heures durant, poser beaucoup de questions. Mais avoir des rapports directs ne signifie pas légitimer quelque gouvernement ou quelque action que ce soit. Il s’agit simplement de parler directement pour être entendue.

Bien sûr, nous avons nos désaccords avec certains pays du Sahel. Prenons l’exemple du Burkina Faso, dont j’ai dénoncé l’attitude, le rétrécissement de la liberté d’expression, le fait d’entraver les partis politiques, les différentes violations des droits humains en général. Lors de ma visite à Ouagadougou, au cours de laquelle j’ai rencontré les ministres de Sécurité et de la Défense burkinabè, j’ai aussi clairement dénoncé le type de rhétorique employée contre certains pays de l’UE, la France en particulier, laquelle ne bénéficie à personne et que nous ne pouvons pas accepter.

Divorce avec la France, renforcement de la présence hongroise, chancelleries scandinaves fermées, dialogue maintenu avec l’Allemagne : on peine à distinguer une réelle stratégie européenne sur la question sahélienne, l’UE étant un ensemble politique hétéroclite…

Bien sûr, il existe des positions différentes au sein de l’UE mues par des visions et des intérêts divergents. Le risque que la dimension bilatérale axée sur les politiques de chaque État membre prévale sur la dimension européenne est réel. Mais nous avons beaucoup travaillé à une approche commune. En témoigne la dernière réunion des représentants spéciaux des pays européens qui s’est tenue mi-novembre à N’Djamena. Il ne faut pas nier les difficultés, mais dans l’ensemble, le dialogue se poursuit et certains partenariats se maintiennent. Plusieurs pays tiennent à continuer à investir et maintenir la coopération dans la région, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, ou l’Espagne.A lire : 

L’Italie est aussi parvenue à maintenir son contingent au Niger. Ce sont des choses à souligner. Nous faisons face à de grands changements idéologiques portés par des régimes non élus. Mais je pense que, quand l’ordre constitutionnel sera rétabli, la confiance pourra être renouée. Il y a une volonté des pays du Sahel de maintenir le lien avec l’UE. On parle beaucoup de compétition avec la Russie ou la Chine. En matière d’aide au développement, d’action humanitaire, et dans bien d’autres domaines, l’UE a beaucoup plus à offrir que n’importe quel autre partenaire. Avec une vision mature, nous pouvons aboutir à un partenariat d’égal à égal. Le colonialisme est loin derrière nous, l’UE n’est plus celle de l’époque des mouvements indépendantistes. Bien sûr, tout reste à construire. D’où la nécessité de développer un langage africano-européen afin de travailler ensemble. Sinon nous risquons de passer à côté de l’Histoire.

Au nom de leur souveraineté, les pays de l’AES ont décidé de quitter la Cedeao. Y a-t-il selon vous un risque d’isolationnisme pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger ?

Les pays de l’AES sont parfaitement conscients qu’aucun pays ne peut vivre seul et du besoin de maintenir certaines dynamiques avec les pays voisins. Il s’agit de pays pauvres, affectés par le terrorisme, le changement climatique, l’insécurité alimentaire… Pour toutes ces raisons, il n’y a pas de volonté d’isolationnisme des pays de l’AES. Au sein de l’UE, nous avons insisté sur la nécessité de rester dans une dimension régionale. On nous a répondu qu’une sortie de la Cedeao ne signifiait pas la fin des relations bilatérales dans la région, y compris avec les pays avec lesquels l’AES connaît des tentions, comme la Côte d’Ivoire.

Des centaines, voire peut-être des milliers, d’organisations de la société civile européenne travaillent avec les communautés locales au Sahel. C’est là notre meilleur axe de dialogue.

Le Ministre des Affaires étrangères du Mali [Abdoulaye Diop] m’a assuré qu’il s’agirait d’une « sortie souple ». Il n’y a pas de volonté de rompre toute relation avec les pays de la Cedeao, simplement de se concentrer sur le bilatéral plutôt qu’au sein d’une organisation multilatérale, perçue comme un outil d’imposition qui n’est pas en phase avec leur agenda. Il n’y a pas non plus de volonté de sortie de l’Uemoa [Union économique et monétaire ouest-africaine].

Les partenariats militaires de l’UE avec plusieurs pays du Sahel ont récemment pris fin. La coopération est-elle désormais confinée à l’action humanitaire et au développement ? 

Effectivement, notre soutien militaire est inexistant au sein des pays de l’AES. Là où certains pays sahéliens demandaient notre soutien il y a quelques années, ils réaffirment aujourd’hui leurs capacités à faire face aux défis sécuritaires par eux-mêmes ou avec l’aide d’autres acteurs. Néanmoins, certaines missions de formation demeurent.

Il y en a une en Mauritanie, opérée par le Collège de défense. Le Burkina Faso nous a fait savoir qu’il était toujours intéressé par un appui en matière de formation pour renforcer les capacités de contrôle et de gestion du territoire. Et au Mali, la mission de soutien aux capacités de sécurité intérieure maliennes [Eucap], qui est une mission civile, se poursuit également.

Pour ce qui est de la fourniture d’équipements ou d’appuis sur le terrain, les pays du Sahel ont trouvé de nouveaux partenaires tels que la Russie. Mais je tiens à souligner qu’elle offre une illusion de soutien plus qu’une aide réelle. Prenons la présence de Wagner au Mali. Il s’agit d’une toute petite armée qui a déjà créé plus de problèmes qu’elle n’a apporté de solutions. Et je crois que l’AES se rend désormais compte des limites de ce type de soutien.A lire : 

Il est néanmoins clair que l’AES ne souhaite plus d’aide européenne, et occidentale en général, pour ce qui est de l’armement, de l’équipement ou de l’appui sur le terrain. C’est pourquoi l’accent est mis sur l’aide humanitaire et la coopération au développement. Des centaines, voire peut-être des milliers, d’organisations de la société civile européenne travaillent avec les communautés locales au Sahel. C’est là notre meilleur axe de dialogue.

Je reste convaincue que les initiatives africaines sont les meilleures solutions. En témoignent les succès enregistrés par la Force multinationale mixte [FMM – Tchad, Cameroun, Niger, Nigeria, Bénin] qui intervient autour du lac Tchad et laquelle est financée, en partie, par l’Union européenne.

L’avenir de cette force n’est-il pas remis en question par les menaces du Tchad de s’en retirer, après l’attaque de la base militaire de Barkaram, qui a coûté la vie à de nombreux soldats tchadiens ?

C’est une question que j’ai pu aborder en profondeur avec le Premier ministre tchadien. Lequel m’a dit ne plus avoir le sentiment d’une réelle coopération. Le Tchad veut en effet s’assurer que, en cas de problème, il existe une vraie réponse coordonnée de l’alliance, laquelle prévoit une assistance mutuelle. Ce qui semble ne pas avoir été le cas lors de la dernière attaque. Le sujet est de parvenir à coordonner les forces armées des pays dont les positions, politiques notamment, sont différentes. Il y a parfois aussi des règles d’engagement différentes.

L’Union européenne peut-elle coopérer, financièrement ou sécuritairement, avec des régimes qui emploient des mercenaires du groupe Wagner ?

Il s’agit là de la question originelle ! À l’arrivée de Wagner au Mali, j’ai clairement annoncé à Assimi Goïta qu’il s’agissait pour nous d’une ligne rouge. Que l’on ne pouvait pas voir près de 18 000 soldats formés par notre mission EUTM [ European Union Training Mission] et travailler sous le commandement de Wagner. Cette question nous a causé de nombreux torts. Et cette décision a fait beaucoup de mal au Mali, car elle a rendu certaines initiatives et certains partenariats impossibles. Je crois qu’aujourd’hui, les autorités maliennes ont conscience des effets négatifs engendrés par cette collaboration.

Dans la situation que l’on vient de décrire, le Tchad est-il, plus que jamais, un partenaire privilégié pour l’UE ?

J’espère que l’on a appris des situations passées et que l’on est mieux préparé aux changements qui s’opèrent. L’exemple du Niger nous a fait comprendre qu’il était dangereux de mettre l’accent sur un seul pays, d’en avoir fait notre seul partenaire stratégique. Tout peut très vite basculer. À mon sens, il fallait maintenir une vision large, ne pas se concentrer sur un seul pays. C’est toujours le cas aujourd’hui. Il faut être préparé, penser à long terme et ne pas se contenter d’être dans la réaction à des situations données.

*Ces propos ont été recueillis quelques jours avant l’annonce de la rupture des accords de défense entre le Tchad et la France, ainsi qu’avant le rappel à Bruxelles, pour « consultations », de l’ambassadeur de l’Union européenne au Niger. Selon nos informations, ce retour serait définitif. Les autorités de Niamey accusent l’UE d’avoir distribué une aide européenne à des organisations non gouvernementales (ONG) présentes au Niger « de manière unilatérale ».

La Tribune Info

Julie Astongar

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