Au Tchad, le sexe est ce paradoxe brûlant. Tabou dans les discours, omniprésent dans les comportements. Interdit à la parole, mais autorisé dans le fantasme.
On ne l’évoque pas en public, mais on en rêve en cachette. On le juge sévèrement, mais on le consomme avec frénésie. Il est dans les regards, dans les silences moites des couples mal assortis, dans les hôtels à l’heure du déjeuner, dans les auberges de quartier, dans les bureaux climatisés du pouvoir où certaines signatures ne s’échappent qu’après une étreinte tarifée ou consentie. Il est aussi sur les réseaux, dans ces sextapes virales qu’on regarde, partage, commente, pour mieux feindre l’indignation… et nourrir une excitation coupable.
Et pourtant, la société tchadienne se proclame pudique, pieuse, « respectueuse des mœurs ». Mais que cache cette façade ? Une vérité crue : le sexe n’est pas absent.
Il est juste hypocritement dissimulé.
Le devoir conjugal, ou l’éteignoir du désir
Le mariage, pour beaucoup de femmes, devient une scène où le plaisir est expulsé.
L’épouse devient mère, intendante, ombre au foyer. Le mari, souvent peu formé au langage du corps féminin, exécute un « devoir » : trois secousses, quelques minutes, une position « propre », une performance sans préliminaire ni postlude. Ce n’est pas du plaisir. C’est une vidange.
Et pendant que madame étouffe ses soupirs, monsieur, lui aussi insatisfait mais trop fier pour l’avouer, ira chercher ailleurs.
Une autre femme. Une amante. L’épouse insatisfaite d’un autre. L’adultère silencieux, ou la chaîne invisible des frustrations conjugales.
À N’Djamena, l’infidélité féminine ne se lit plus dans les draps froissés, mais dans les profils anonymes de Tinder, dans les messages codés de WhatsApp, dans les allers-retours discrets en clando. Ces femmes, appelées trop vite « dévergondées », ne sont souvent que des épouses, des mères, que la routine conjugale a enterrées vivantes. Des femmes qu’on ne regarde plus, qu’on ne touche plus avec tendresse, qu’on pénètre comme on clôt une corvée. Et lorsqu’un autre les désire, les écoute, les effleure comme une partition sacrée… elles renaissent. Elles deviennent des amantes vibrantes, curieuses, passionnées. Et c’est là que l’accusation tombe : « Elle a trop d’expérience », « Elle n’est pas pure », « Elle est indécente ».
Mais cette passion qui explose, ce n’est pas le fruit de trop d’amants : c’est le résultat d’un homme, un seul, qui a su l’aimer avec l’intelligence du cœur et des sens.
Ce que la société refuse de voir : la femme entière. Il est facile pour une femme de simuler la pudeur. Une voix douce. Un regard baissé. Un voile bien ajusté.
Et pourtant, cette même femme peut se transformer. Devenir volcan. Se cambrer, s’offrir, crier son plaisir… mais pas pour son mari. Pour un autre.
Un autre qui, l’espace d’une heure, lui rendra ce que le mariage lui a volé : le droit d’exister comme femme, pas seulement comme mère ou épouse. Et cela, la société le sait. Mais elle préfère se taire. Elle préfère accuser la femme adultère, jamais le mari négligent. Elle préfère cacher le feu sous les draps que d’enseigner l’art du plaisir.
Elle préfère interdire le désir que de reconnaître qu’une femme frustrée n’est pas une sorcière… mais une âme assoiffée d’amour sincère, de respect charnel, de tendresse sans honte.
Et maintenant ?
Il est temps de parler. Pas pour choquer. Mais pour briser le cycle du silence. Il est temps d’apprendre aux hommes que le plaisir de leur épouse n’est pas un bonus : c’est une responsabilité. Que l’acte sexuel n’est pas un service dû, mais une danse à deux. Que la pudeur n’est pas l’ennemie du plaisir, mais son écrin.
Et surtout, qu’il n’y a rien de plus digne qu’une femme qui jouit… dans le respect, dans l’amour, dans la confiance.
Fatimé Nassour Abdesalam.
Julie Astongar