En dénonçant la « gestion indélicate » d’African Parks Network, le Tchad a mis fin à quinze ans de collaboration avec l’ONG sud-africaine. Derrière ce divorce, un geste : celui d’un pouvoir soucieux d’affirmer sa souveraineté.
Chacun à sa manière, les régimes militarisés d’Afrique francophone doivent confronter leur néosouverainisme affiché à de fréquents partenariats avec des organisations non gouvernementales liées à des puissances étrangères. C’est officiellement pour « renforcer la gouvernance nationale » que le Tchad vient de rompre des accords de quinze ans avec l’ONG African Parks Network (APN) spécialisée dans la conservation de la nature. Si cette dernière est basée sur le continent africain, à Johannesburg, elle a été médiatisée lorsque le prince britannique Harry en a été nommé président, en 2017, avant d’être intégré au conseil d’administration en 2023.
Le ministre tchadien de l’Environnement, de la Pêche et du Développement durable qualifie aujourd’hui l’attitude, « récurrente « , d’African Parks d’« indélicate et irrespectueuse envers le gouvernement ». Hassan Bakhit Djamous ajoute qu’au niveau des résultats, le Tchad déplore, dans les réserves naturelles que gérait l’ONG, une recrudescence du braconnage, un manque d’investissement dans les infrastructures et une gestion jugée opaque des fonds issus du tourisme et des financements internationaux.
Néosouverainisme vs « néocolonialisme »
Si l’ONG annonce son intention d’« explorer la meilleure voie à suivre », à la suite des critiques, elle sait que des accusations de « néocolonialisme vert » lui ont déjà été adressées. Un livre-enquête du journaliste néerlandais Olivier van Beemen – Au nom de la nature, éd. Rue de l’échiquier – a récemment dénoncé une gestion opaque d’African Parks Network, un modèle de conservation fondé sur la militarisation, la privatisation des terres au nom de la conservation de la nature, une gouvernance dominée par des élites occidentales et des relations parfois conflictuelles avec des populations locales qui se voient refuser les droits d’utilisation et d’accès aux ressources naturelles.
Après la rupture, le Tchad se devait de rassurer ses partenaires techniques et financiers ainsi que l’opinion publique nationale et internationale sur la continuité du fonctionnement des parcs et des réserves. Comme mesure conservatoire, le ministre chargé de l’Environnement a d’abord annoncé le maintien en activité de l’ensemble des agents de l’État travaillant dans les aires protégées comme le Grand écosystème fonctionnel de Zakouma (GEFZ), le parc de Siniaka Minia, la réserve de l’Aouk et la réserve naturelle et culturelle de l’Ennedi. Pour que tout fonctionne sans discontinuité, il a réclamé à l’ONG boudée la rétrocession immédiate de tous les biens, équipements et matériels utilisés dans ces lieux.
À plus moyen terme, le gouvernement prévoit des mesures structurantes. Seront ainsi mis en place une unité de coordination provisoire chargée de superviser les comités provisoires de gestion des aires protégées concernées et des comités provisoires de gestion dans chacune de ces aires. Il est aussi prévu la création d’une Agence nationale de gestion des aires protégées. Les objectifs demeurent la conservation du patrimoine écologique et la valorisation des espaces naturels, dans le respect des principes du développement durable et de souveraineté environnementale.
tribune Info avec Jeune Afrique
Luc Fils de Jacob