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Afrique : Gouvernance, démocratie, États-Unis, France… Ce qu’en pensent les élites africaines.
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06.10.2025

Société

Afrique : Gouvernance, démocratie, États-Unis, France… Ce qu’en pensent les élites africaines.

Institutions, santé, éducation… En partenariat avec Sagaci Research, Jeune Afrique a mené, à travers 47 pays, une grande enquête à laquelle ont répondu plus de 7 000 Africains appartenant à la classe moyenne supérieure. Nous vous en présentons en exclusivité les résultats, instructifs et surprenants.

Quelle opinion les classes africaines « supérieures » (lire notre méthodologie à la fin de cet article) ont-elles de leur gouvernement ? Quel est leur niveau de confiance dans le développement du continent ? De leur pays ? Quels sont les partenaires qui trouvent grâce à leurs yeux ? Pour le savoir, Jeune Afrique a lancé, avec le cabinet Sagaci Research, basé à Nairobi, une vaste enquête, réalisée sur smartphone entre le 11 août et le 8 septembre, qui couvre 47 pays et à laquelle 7 087 répondants issus de la classe dite « supérieure » ont participé. De par son influence économique et sociale, cette partie de la population joue en effet un rôle clé dans l’avenir du continent : elle façonne la consommation locale, conditionne la transformation des économies, dynamise le commerce intra-africain et participe à l’édiction des normes.

Dans notre échantillon, 15 pays (Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Égypte, Ghana, Gabon, Kenya, Maroc, Mozambique, Nigeria et Zimbabwe) ont obtenu un nombre de réponses suffisant pour être significatifs pris isolément. Et les résultats sont parfois étonnants.

Une douce euphorie en Afrique de l’Ouest ?

Ce qui frappe d’abord, c’est la confiance des sondés en eux-mêmes et en l’avenir. « Un optimisme à rebours du catastrophisme d’une Afrique en proie chronique à ses vieux démons, constate le sociologue et écrivain sénégalais Souleymane Gassama. Cela prouve que cette classe aisée voit les progrès accomplis, de l’allongement de l’espérance de vie à l’augmentation du taux d’alphabétisation. »

Un optimisme particulièrement fort dans ce qui semble être, à travers ce sondage, le cœur battant du continent actuellement : l’Afrique de l’Ouest. Au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Burkina Faso et au Ghana, la confiance en l’avenir, en son destin, en celui de son pays et de son continent est crâne et résolue.

Au Ghana et au Burkina Faso en particulier – exposés à des contextes politiques et socio-économiques pourtant radicalement différents –, une douce euphorie imprègne notre enquête, une certitude que l’avenir est une promesse. C’est aussi là, peut-être, l’écueil de l’exercice. « On a parfois du mal à discerner ce qui tient du vœu, du constat ou de la conviction, explique Souleymane Gassama. Au Burkina Faso, par exemple, le soutien très important de la population au pouvoir en place paraît décorrélé de la réalité sécuritaire, politique et économique du pays. Comme si la conviction militante et l’espoir l’emportaient sur tout le reste. »

La deuxième observation concerne l’origine de cet optimisme. Comme le note Vincent Rouget, directeur Afrique chez Control Risks, « à l’exception du Burkina Faso, les classes aisées optimistes correspondent assez bien à celles des pays dont l’économie est dynamique. On le constate au Bénin ou en Côte d’Ivoire, et dans des pays qui sont en phase de redressement, comme le Ghana ».

Rejet de la France

En ce qui concerne les pays tiers, la Chine ressort comme le grand gagnant de notre consultation, et la France apparaît comme la grande perdante. Les résultats ne laissent aucune place au doute : Pékin a conquis les cœurs et les esprits de tout le continent. Il est le pays le plus cité comme ayant un impact économique positif par ceux qui ont fourni plus de 10 réponses dans notre enquête, soit 32 pays sur 32 ! Un raz-de-marée.

Enfin, dernier constat, cinglant : le rejet de la France, donc, qui ne s’arrête plus aux seules frontières du Cameroun ou de l’Algérie mais s’étend désormais à toute l’Afrique francophone. Seule satisfaction pour l’Hexagone, peut-être : la contagion n’a pas encore gagné les pays anglophones.

Tendance à l’afroptimisme…

L’afroptimisme et la confiance en soi, en son avenir et en celui de sa famille sont des récurrences de tous les sondages, et celui-là ne fait pas exception. À titre personnel, et même lorsqu’ils songent à émigrer, les Africains veulent croire que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, les stratégies et les prises de risques individuelles l’emportant sur le collectif.

Un sentiment globalement positif qui affecte également – quoique à un degré moindre – le jugement porté sur l’avenir du continent, les Algériens étant les seuls à se montrer sceptiques. Signe à la fois d’une certaine morosité ambiante et du recul, depuis deux décennies, des liens entre Alger et l’Afrique subsaharienne, laquelle est vue avant tout sous le prisme de l’immigration.

Portés par leurs bons résultats économiques, la Côte d’Ivoire et le Bénin se distinguent par le taux de confiance élevé de leurs citoyens, alors que les Ghanéens semblent encore sous le charme des politiques populistes à l’œuvre depuis le retour au pouvoir, en janvier, de John Dramani Mahama, que le haut niveau d’adhésion des Burkinabè à la junte du capitaine Traoré continue de transcender les effets de la crise sécuritaire, et que la chute d’Ali Bongo Ondimba et l’arrivée de Brice Clotaire Oligui Nguema ont redonné aux Gabonais ce qui leur manquait le plus ces dernières années : l’estime d’eux-mêmes.

… mais aussi au pessimisme démocratique

Décidément, le Ghana coche toutes les cases de la confiance : gouvernement, démocratie, Union africaine (depuis Kwame Nkrumah, les Ghanéens se sont toujours distingués par leur panafricanisme), alors que Gabonais et Burkinabè reportent sur le plan collectif le niveau de conviction qui les anime en tant qu’individus.

Mais ce qui est remarquable ici, c’est le fort taux de défiance envers les institutions – qui rejoint celui manifesté quant à l’avenir de leur pays – des Angolais et des Mozambicains. Certes, ce sondage a été réalisé en pleine période de tensions politiques et sociétales dans ces deux pays lusophones. Mais le fait que si peu d’Angolais aient confiance en l’Union africaine alors que leur chef de l’État, João Lourenço, en exerce actuellement la présidence est préoccupant pour ce dernier.

Toujours au chapitre du « lusopessimisme », on notera que moins de deux Angolais sur dix (et à peine plus de deux Mozambicains sur dix) considèrent que leur pays est une démocratie, la conjoncture difficile évoquée plus haut faisant œuvre de circonstances (à peine) atténuantes. Une incertitude quant à l’avenir politique, perçu comme particulièrement opaque et anxiogène par les Camerounais et qui explique leur pessimisme démocratique.

Des Marocains critiques envers leur système éducatif

Avec un taux de confiance de près de 90 % en leur système éducatif, les Zimbabwéens se détachent nettement du lot. Une performance qui a une histoire. Réputé pour avoir l’un des meilleurs systèmes éducatifs du continent avant que le tsunami de la crise économique finisse, à la fin des années 2000, par le mener au bord de l’effondrement, le Zimbabwe mène depuis une décennie une politique volontariste en ce domaine, qui lui a redonné son lustre d’antan.

En 2024, le classement Data Panda le place en quatrième position parmi les pays africains qui affichent les meilleurs niveaux d’éducation, derrière les Seychelles, l’Afrique du Sud et Maurice. Au Burkina Faso, la vague souverainiste et légitimiste continue d’imprégner les réponses à ce sondage, quitte à nourrir les paradoxes : 77 % des répondants disent avoir confiance dans leur système éducatif, alors que, selon le ministère de l’Éducation, plus de 20 % des écoles du pays sont fermées du fait de l’insécurité.

À l’inverse, les Marocains, qui affichent un taux appréciable de confiance dans tous les autres domaines, ne sont que 36 % à donner crédit au secteur de l’Éducation nationale. Caractérisée par un système à double vitesse, avec des unités d’excellence dans le supérieur et le privé et un secteur public de qualité aléatoire souvent plombé par des grèves d’enseignants, l’éducation fait l’objet de critiques constantes dans le royaume.

Enfin, le très faible pourcentage de sondés ayant cherché à se faire soigner à l’étranger, y compris chez ceux qui expriment un taux de confiance négatif vis-à-vis du système de santé de leur propre pays, s’explique sans doute par le facteur coût financier d’une telle opération, de plus en plus onéreuse. Seul le segment le plus aisé de notre panel est en mesure de faire face à ce type de dépense.

La Chine profite du désengagement américain

Depuis une dizaine d’années, la Chine de Xi Jinping caracole en tête de tous les sondages d’influence positive sur le continent. Sa puissance économique et militaire, le techno-nationalisme du « socialisme aux caractéristiques chinoises » et l’offre d’un alignement du Sud global sur les objectifs du « rêve chinois » continuent d’exercer une forte attraction sur les Africains.

Ce qui est nouveau, par contre, dans les résultats de cette enquête, beaucoup plus que la perte d’influence désormais actée de la France, en particulier dans l’espace francophone, c’est la brusque dégradation de l’image des États-Unis. Plus du quart des personnes interrogées estiment que cette superpuissance a un impact négatif sur le développement économique de leur pays, ce qui la place en tête des partenaires « répulsifs », contrairement aux résultats des précédentes enquêtes du même type. Clairement, l’effet Donald Trump joue ici à plein, ses décisions ayant des conséquences pénalisantes et parfois dramatiques sur le continent dans les domaines du développement, de la santé et de l’émigration.

Une émigration qui tente encore près de la moitié des personnes interrogées, pourtant issues des classes moyennes supérieures et aisées. Ce pourcentage serait sans doute sensiblement plus élevé si on y incluait les jeunes de toutes les catégories socioprofessionnelles, et, même s’il paraît en baisse au Maghreb par rapport à de précédents sondages, le rêve d’« attraper » une vie meilleure hors d’Afrique continue de tarauder bien des filles et des fils du continent. Souvent les plus audacieux et les plus déterminés. Un constat qui, soixante-cinq ans après les indépendances, devrait faire réfléchir les dirigeants sur leurs propres responsabilités.

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Notre méthodologie

Compte tenu de l’échantillon total de 7 087 réponses valides, la marge d’erreur à 95 % de confiance est de ± 1,2 point. Avec un échantillon supérieur à 200 personnes dans certains pays, les résultats peuvent être également utilisés au niveau dudit pays. Dans ce cas, la marge d’erreur à 95 % est de l’ordre de ± 3,5 points par pays si l’échantillon est de 200 personnes, et plus faible lorsque l’échantillon est plus important.

Notre identification de la classe dite « supérieure » utilise un indice composite qui définit cette catégorie en fonction de l’éducation du chef de ménage, du nombre de chambres dans le logement, des biens possédés, etc. De manière simplifiée, les personnes retenues appartiennent à une catégorie où le chef de ménage a un niveau d’études universitaires, vivent dans un logement spacieux et possèdent plus de 10 biens modernes (ordinateur, internet, voiture…).

Tribune Info avec Jeune Afrique

Luc Fils de Jacob

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